Yasmina KHADRA : dans la tête de Khalil, terroriste de Molenbeek

Le 16 octobre 2018, l’écrivain Yasmina KHADRA est venu rencontrer ses lecteurs à la FNAC de Lille pour la publication de Khalil, son dernier roman. L’intrigue nous plonge dans l’esprit d’un kamikaze à travers un événement terrible qui avait touché Paris, celui de l’attentat du 13 novembre 2015. Une occasion pour nous, lecteurs, de comprendre le processus d’enrôlement des jeunes djihadistes. Circonflex Mag était présent à la conférence de presse.

Vous êtes désormais un auteur à succès, mais quel a été le point de départ, qu’est ce qui vous a poussé à écrire ?

Yasmina Khadra : Je suis né dans le Sahara et à 9 ans mon père m’a envoyé dans une institution militaire. J’ai donc appris à vivre collectivement avec les orphelins de la guerre. J’ai essayé de me consacrer au désarroi des autres. On était dans des cellules carcérales, et je me suis mis à écrire car le livre était pour moi un moyen de voyager, de m’évader…

Leur stratégie pour enrôler les gens passe avant tout par la parole.

Le livre a donc été une échappatoire pour vous face aux difficiles conditions de votre formation militaire… Mais pourquoi avoir souvent écrit sur ce sujet, celui du terrorisme ?

Pour prévenir la population et surtout la jeune génération qui est facilement influençable, sur les méthodes d’enrôlement du terrorisme. Leur stratégie pour enrôler les gens passe avant tout par la parole. J’ai pu voir des jeunes dans des mosquées qui portaient des discours avec une incroyable rhétorique. Ils utilisent la poésie, la versification. Il y a aussi toute une mise en scène avec l’apparence pour jouer sur le charisme. Ils portent des robes, ont une barbe très bien taillée.

En fait, c’est un piège particulièrement bien pensé et construit …

Parfaitement. Ils vont ensuite prendre une personne, la purifier, réinstaller en elle une dignité afin de lui faire croire qu’elle est en pleine reconstruction. Enfin, ils vont lui injecter un sentiment de fierté, un esprit de solidarité vis à vis des siens. On va donc sortir cette personne de sa nation et la préparer pour la suite.

En démontant la stratégie adoptée par les terroristes pour recruter des jeunes, vous espérez prévenir du danger une population fragile et qui pourrait se laisser enrôler par les beaux discours…

…et aussi « humaniser » le lecteur pour qu’il n’écoute plus les charlatans politiques car on nous dit que c’est le prophète, le Coran, les musulmans qui sont responsables de tout ça, alors qu’en réalité, non ! On essaye de déplacer le problème en nous donnant un ennemi…

Il va donc chercher une famille ailleurs en reniant sa famille naturelle.

Le processus de radicalisation est une mécanique qui fait froid dans le dos ! Vous vous donnez comme mission d’informer les gens face aux techniques bien habiles du terrorisme … mais comment expliquez-vous justement le problème de radicalisation ?

Un futur terroriste a déjà un problème sous le toit parental : il n’a pas trouvé une autorité et une stabilité dans sa propre maison. Il n’a pas eu le père et la mère qu’il espérait avoir. Il va donc chercher une famille ailleurs en reniant sa famille naturelle. Dans mon ouvrage, le terroriste sait qu’il n’a été qu’une insignifiance à l’égard de ses parents : ceux qui l’ont embrigadé l’ont récupéré et personne ne l’a réclamé. En général, ce sont des êtres fragiles et perdus qui s’incluent dans un groupe pour se donner une force et une visibilité, car tous les êtres humains ont besoin d’une visibilité.

On peut déjà comprendre que tout commence à partir du toit familial.

L’histoire développée dans votre roman, c’est celle de plusieurs destins inéluctables ?

Ce sont 3 amis et chacun a eu un destin différent. L’un a réussi dans la vie car sa mère l’a accompagné. Le deuxième, qui se nomme Driss, a une mère malheureuse qui ne réagit pas. On parle alors ici de stoïcisme, c’est-à-dire que Driss va supporter la douleur qu’il a vis-à-vis de sa mère qui est indifférente à lui. Enfin, le troisième personnage a un père qui méprise sa femme et ses enfants. Il est blessé au fond de lui car il ne comprend pas pourquoi son père se comporte de la sorte. Il renonce alors à ses rêves. On comprend que tout commence à partir du toit familial. Le terrorisme va profiter de cette « fracture » au sein de la famille pour alimenter la douleur et amener la future recrue vers un « idéal suprême » .

Un dernier mot à nous dire ?

C’est l’homme qui est capable de tout reconstruire : il est le seul responsable de son malheur et peut donc être l’artisan de son bonheur. Je veux que les esprits l’emportent sur les armes, il faut aller vers la connaissance et aller de l’avant. Je souhaite que les collégiens, les lycéens et les parents lisent cet ouvrage pour être armés et pour ne pas tomber dans le piège de la récupération.

Propos recueillis par Fanny Kerloch